Le Trait d’Union, journal d’information du Syndicat Unifié-Unsa, est adressé chaque trimestre au domicile des seuls adhérents actifs et retraités. Découvrez ci-après un article de la rubrique “SOCIÉTÉ”…

Les raisons de la colère

La colère, hier considérée comme une faute, est aujourd’hui valorisée. Une émotion qu’il convient toutefois de contenir au risque d’un emballement aux effets dévastateurs.

La colère, comme toutes émotions humaines, est utile à l’individu qui les ressent mais aussi à son entourage puisqu’elle est une expression.

La colère constitue une réaction à une situation jugée comme mauvaise à l’individu. Elle fait en principe suite à une douleur, blessure, privation, honte, humiliation… Elle permet de mobiliser l’énergie de la personne en colère pour agir sur le monde extérieur et trouver les solutions pour surmonter ses difficultés. La colère peut donc être utile et efficace, pour autant qu’elle vise des comportements et pas des personnes.

PÊCHÉ OU VERTU ?

Il existe de nombreuses pseudo-vérités nous incitant à nous écarter de la colère : « Ne nous fâchons pas», « la colère est mauvaise conseillère »… Et autant de remèdes pour « soigner » ce « mal ». Nous sommes ainsi invités à penser à autre chose « ravaler sa colère » ou à la décharger par une série de comportements compulsifs ou encore à en gommer les moindres traces par le biais de divers procédés : calmants, yoga…  Catalogué « pêché capital » par la Bible, ce sentiment a longtemps été placé du côté du mal. Aujourd’hui la société tend au contraire à valoriser la colère dans laquelle d’aucuns perçoivent des vertus à cultiver. Salariés, gilets jaunes, paysans, retraités, citoyens… tout le monde est en colère. Pouvoir d’achat, dérèglement climatique, immigration… tout est sujet de colère. S’il ne s’agissait que d’une question de terminologie, ce serait un moindre mal, hélas il s’agit vraisemblablement de quelque chose de plus profond.

 

TOUT EST COLÈRE

Il y a quelques décennies, les salariés étaient « en lutte », « en grève » pour défendre leurs droits et pour améliorer leurs conditions. Ils avaient en face d’eux des interlocuteurs patronaux identifiés. Ils pouvaient aussi s’appuyer sur des structures politiques pour relayer leurs revendications. La grande vacuité actuelle, caractérisée par l’anonymisation du patronat et le désenchantement du politique, a transformé ces griefs en colère.  

Le politique faisant défaut pour accompagner les révoltes et les transformer en valeurs positives, le risque est grand que l’on s’englue dans des colères sauvages et instinctives. Le phénomène est accentué par la circulation de ces expressions via les réseaux sociaux. Une étude[1] a démontré que la colère est le sentiment qui se diffuse le plus rapidement et le plus massivement.

 

ATTENTION À LA SURCHAUFFE !

Et comme dans nos sociétés rien n’échappe au mercantilisme, la colère est aujourd’hui mise en rayons. Des « rage room » sont proposées pour apaiser les pulsions de celles et ceux qui, exaspérés par des tensions générées dans leur cadre professionnel ou relationnel, ont besoin de se défouler. Pour quelques dizaines, voire centaines d‘euros, il leur est proposé de détruire vaisselle, électro-ménager ou imprimante à grands coups de batte de base-ball ou de pied-de-biche.

Si, sur le moment, le défoulement peut exister, cette culture de la colère n’est certainement pas le remède au mal profond qui mine la société. Il s’agit plus d’un entretien du sentiment dans ses plus mauvais aspects qui risque plutôt de conduire à la surchauffe !

Les partis populistes, qui progressent depuis quelques temps dans de nombreuses démocraties, s’encombrent peu de programme politique. Il suffit pour eux de s’alimenter au carburant de « l’angry culture », de plus en plus disponible.

[1] Université de Beihang à Pékin

Cet article est signé par Serge HUBER
ancien Secrétaire général Syndicat Unifié-Unsa