UN CONTRASTE SAISISSANT

Les profits records que l’on découvre en ce printemps 2024, et les astuces pour en faire bénéficier le moins possible les salariés, contrastent de manière saisissante avec les déclarations du ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, qui nous annonce, à peu près en même temps que sont révélés les résultats des entreprises, de nouvelles coupes sombres dans les dépenses publiques à hauteur de 10 milliards en 2024, et possiblement le double en 2025. Ces baisses viendront affecter à la fois la vie quotidienne des Français et les réformes nécessaires, en particulier en manière environnementale et en matière d’éducation. Le secteur le plus affecté par ces « économies » est celui de l’écologie, du développement et des mobilités durables, et près de 700 millions d’euros sont « piqués » à l’éducation nationale au moment où tout le monde voit le manque flagrant d’adultes auprès des élèves. De la dégradation de l’indemnisation du chômage au doublement des franchises médicales, et passant par les coups de hache dans les aides à la rénovation énergétique, ce sont les simples citoyens qui vont à nouveau payer, aussi bien dans leur confort de vie que dans leurs perspectives pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Après la baisse du pouvoir d’achat, c’est en quelque sorte la double peine.

 

CE PINGRE D’ÉCUREUIL !

Et qu’en-est-il de ce « partage » de la valeur dans les Caisses d’épargne ? On se souvient que le SU-UNSA a refusé début 2024 de brader sa signature pour un accord qui ne prévoyait que 1,7 % d’augmentation générale et 1,3 % d’enveloppe pour les mesures individuelles. Ce dernier chiffre, on l’a compris, concerne inégalement les salariés. Ce qui signifie qu’en moyenne on nous accorde 3 % au moment où l’inflation officielle est à 4,9 % (et 5,2 % l’année précédente). Voilà donc une perte très nette de pouvoir d’achat qui n’est que très partiellement compensée par l’instauration d’un plancher à 550 euros qui permet aux plus bas salaires de s’en sortir un peu moins mal. Les employeurs peuvent vaguement justifier leur attitude par le fait que les résultats des Caisses d’épargne sont en recul en 2023. Mais outre le fait que ces résultats, même en recul, permettaient très largement d’accepter la demande du SU-UNSA que le plancher soit relevé à 2400 euros (ramenés par souci de compromis à 1200 euros), ils succèdent à plusieurs années de résultats très importants (4 milliards en 2022 et 2,1 milliards en 2021, etc.), années où les NAO ont souvent été décevantes. Beaucoup de valeur dégagée dans nos entreprises grâce à notre travail, donc, mais un partage toujours aussi pingre !


LE RACHAT D’ACTIONS

Le rachat d’actions est une technique inventée par les entreprises pour augmenter le profit de leurs actionnaires, au-delà de la simple distribution de dividendes. Elles utilisent les trésoreries accumulées pour racheter leurs propres actions, puis pour les annuler. Ainsi, le nombre d’actions diminuant, la part de gâteau (les résultats financiers) à se partager augmente pour chaque convive. On appelle cela un effet « relutif » et cela se fait bien entendu au détriment des salariés auxquels on oppose ces résultats artificiellement diminués pour refuser des augmentations de salaires. Les champions de cette technique sont ceux qui l’ont inventée – les États Unis. Là-bas, cette forme de cadeau aux actionnaires est désormais supérieure à la simple distribution de dividendes, et dans la dernière décennie (2010 à 2020) les entreprises yankees ont dépensé plus de 6 000 milliards de dollars pour racheter leurs propres actions. Même s’il n’atteint pas encore les mêmes proportions, le phénomène a gagné également l’Europe. En France, on l’a vu, les seules entreprises du CAC 40 ont dépensé, en 2023, 30 milliards pour ces rachats et on prévoit une augmentation de 50 % en 2024. Les politiques s’émeuvent de ce phénomène, mais ont du mal à passer à l’action. Au printemps 2023, Emmanuel Macron s’est inquiété du « cynisme » des grandes entreprises et avait évoqué la possibilité d’une « contribution exceptionnelle » qui n’a jamais vu le jour. Gabriel Attal, au moment où nous écrivons cet article, vient de fustiger les rachats d’actions. Cet émoi se traduira-t-il en actes ? Même si la forte dégradation des comptes publics justifierait que le Gouvernement s’intéresse à cette possible rentrée fiscale, on peut en douter.