Le Trait d’Union, journal d’information du Syndicat Unifié-Unsa, est adressé chaque trimestre au domicile des seuls adhérents actifs et retraités.Découvrez ci-après l’article de la rubrique “DOSSIER”…

 

Échec du ruissellement !

On connaît la théorie du ruissellement, chère à certains tenants d’un capitalisme pur et dur, selon laquelle il faut faciliter l’enrichissement des plus riches, car cela ruisselle, en particulier via le réinvestissement, sur l’ensemble de la société. L’autre nom de cette théorie, dans le monde de l’entreprise est partage de la valeur. Certes, nous dit le patronat, les bénéfices nets des grandes entreprises explosent, mais cette valeur sera équitablement partagée entre actionnaires, salariés et investissement. Qu’en est-il en réalité de cette fable ?  

La fameuse « prime Macron », dont nous discutons chaque année en Négociation annuelle obligatoire (NAO) de notre branche, cette prime dont les syndicats – et le SU-UNSA en premier lieu – essaient chaque fois d’apprécier ce qui est acceptable pour « sauver les meubles » et ce qui est tellement en dessous de la réalité de la perte de pouvoir d’achat qu’il n’est pas possible de le cautionner, cette prime s’appelle désormais « prime sur le partage de la valeur ».  

Les riches auront de la nourriture et les pauvres de l’appétit !  

La formulation est particulièrement savoureuse – si l’on ose dire – car le partage en question rappelle moins celui de Saint Martin coupant son manteau en deux pour couvrir un misérable, que celui qu’évoquait le regretté Coluche (« les riches auront de la nourriture, les pauvres auront de l’appétit »). Les derniers chiffres connus, ceux de 2023, parlent d’eux-mêmes. Les 38 entreprises du CAC 40 qui ont publié leurs résultats à la date de rédaction de cet article1, ont dégagé un bénéfice de 153,6 milliards d’euros, contre 142 milliards en 2022, année qui avait déjà pulvérisé tous les records. Les cinq champions sont Total Énergies (19,3 milliards de profits auxquels nous participons chaque fois que nous faisons notre plein d’essence) suivi du constructeur d’automobiles Stellantis (le champion de la délocalisation pour assurer ses 18,6 milliards de profits), de LVMH, de BNP-Paribas et d’Axa. De cette manne, les salariés n’ont eu que la portion congrue. Elle a été massivement utilisée au bénéfice des actionnaires : en particulier 67,8 milliards distribués sous forme de dividendes, et 30,1 milliards dans la scandaleuse pratique des rachats d’actions (voir encadré). Si l’on ajoute à cela les chiffres des investissements (ceux-là le plus souvent nécessaires) on voit qu’il ne reste plus grand-chose pour les salariés.  

Le poids des “primes Macron” plafonne à 0,75 % de la masse salariale du secteur privé 

Ainsi, cette même année 2023, l’ensemble des primes “Macron” ont représenté 5,3 milliards d’euros (soit seulement 0,75 % de l’ensemble de la masse salariale du secteur privé Français). Ce « partage » très inégal explique pourquoi l’indice du CAC 40 a franchi pour la première fois, à toute berzingue, la barre des 8 000 points, car les bourses n’aiment rien tant que les plans sociaux et les restrictions de masses salariales. 

Ces superprofits – et la manière dont on en exclut les salariés – sont d’autant plus scandaleux qu’ils interviennent dans un contexte d’inflation à deux chiffres, inédit depuis de très nombreuses années. Et cette inflation est d’autant plus douloureuse qu’elle affecte directement la vie quotidienne, car elle est particulièrement forte pour l’énergie et l’alimentaire. Si l’on élargit la focale et si l’on s’intéresse à tout le secteur privé, au-delà du seul CAC 40, on constate que, ces deux dernières années, le salaire réel de l’ensemble des salariés (hausse des salaires corrigée de l’inflation) a baissé d’environ 3 %. C’est une perte historique, qui n’a pas d’équivalent dans les dernières décennies. 

Au-delà du fait qu’il s’agit d’une souffrance pour tous les ménages, qui doivent de plus en plus mesurer leurs dépenses et parfois ne plus y arriver, cette situation entraîne une évolution sociologique très néfaste. On sait en effet que depuis longtemps le SMIC est systématiquement augmenté au moins de la valeur de l’inflation. Il a même bénéficié, mais c’est déjà de l’histoire ancienne, des fameux « coups de pouce » qui allaient au-delà de l’inflation.  

Démotivante « smicardisation » des salaires 

Or, sous l’impératif catégorique de l’amélioration de leurs marges, les entreprises ont très souvent refusé d’augmenter au même rythme les salaires au-dessus du SMIC. Il en résulte un tassement des salaires vers le bas, une progression du nombre de salariés au SMIC (12 % en 2021, 17 % en 2023), l’enfermement des salariés de tous niveaux dans des situations figées, sans perspective d’évolution, avec le sentiment de plus en plus fort que la qualification et l’expérience ne sont plus prises en compte. La démoralisation générale que cela a déjà entraîné et entraînera encore, se ressent déjà dans le monde du travail et se ressentira de plus en plus. La France pouvait se vanter il n’y a pas longtemps d’une des meilleures productivités du monde. Elle est depuis quelques temps en recul spectaculaire.  

La solution – de plus en plus d’économistes le disent, et souvent des économistes de formation libérale – c’est d’augmenter les salaires.  

Prime : cautère sur jambe de bois… 

Les primes, quel que soit le nom qu’on leur donne, ne sont pas la solution à ce danger majeur pour l’économie de notre pays. Une prime, comme on dit en bon français, c’est one shot, cela peut constituer une bouffée d’air provisoire, mais cela ne s’inscrit pas de manière pérenne dans les revenus des salariés. De plus, on a eu la bonne idée, pour mieux les vendre, d’assortir ces primes d’avantages sociaux et fiscaux, ce qui vient aggraver les difficultés des finances publiques et des systèmes de protection sociale. 

Bien sûr, dans une économie de marché on ne peut pas décréter une augmentation générale des salaires. D’autant que les situations des entreprises sont très différentes selon les secteurs. Mais le gouvernement dispose de plus de moyens qu’il veut bien l’admettre – en particulier fiscaux. Et on doit surtout espérer qu’il y aura une prise de conscience générale que la persistance dans ce mode de gestion de la question salariale risque de nous conduire dans des abîmes dont on ne mesure pas aujourd’hui la profondeu.

 

PS ; les annexes de ce dossier seront publiées dans un article à suivre

 

 Cet article est signé par Benoit Thérin