Le Trait d’Union, journal d’information du Syndicat Unifié-Unsa, est adressé chaque trimestre au domicile des seuls adhérents actifs et retraités. Découvrez ci-après un article de la rubrique “LU POUR VOUS”…
STALINE
La cour du Tsar rouge
C’est un livre de près de 1 000 pages (1 100 avec les notes), dont nous allons vous proposer la lecture dans ce numéro du Trait d’Union. Mais surtout, ne paniquez pas !
Car ce gros pavé – sorti il y a une vingtaine d’années et qui vient d’être réédité en poche – se lit comme un polar, un polar tragique et sanguinaire, et nous vous promettons que vous ne le lâcherez pas jusqu’à la dernière ligne.
DOCUMENTATION PRÉCISE
Sous un titre un peu racoleur, Simon Sebag Montefiore – un historien anglais – allie à une rigueur historique certaine un sens du récit remarquable. Exactitude historique car Montefiore a effectué ses recherches dans la bonne période, entre la fin du communisme en Russie au début des années 90, et la glaciation vaguement nostalgique qu’a instaurée Poutine quelques années après son arrivée au pouvoir. Il a pu ainsi, outre la documentation historique traditionnelle, accéder à des sources plus secrètes – mémoires, témoignages de survivants, interviews d’enfants d’apparatchiks, annotations du « Vojd » (guide) en marge des rapports qui lui étaient adressés etc. – qui permettent de reconstituer la vie quotidienne au Kremlin dans les vingt années qui ont constitué le cœur de la terreur Soviétique.
CRUAUTÉ ET BOUFFONNERIE
Car contrairement aux biographies traditionnelles, Montefiore nous fait grâce de considérations sur l’enfance et la jeunesse du « petit père des peuples ». Le récit commence en 1932, alors que Staline a 53 ans et que sa deuxième épouse, Nadejda Allilouïeva, la mère de deux de ses enfants, vient de se suicider (ce que l’on ne saura que soixante ans plus tard). C’est à partir de ce moment que Staline va développer sur une grande échelle une entreprise de mort paranoïaque qui, paradoxalement, alliera en permanence la plus extrême cruauté avec une part de bouffonnerie. Ce qui frappe, c’est à quel point la terreur est parfois irrationnelle et souvent inattendue. Tous ces personnages, Mikoyan, Molotov, Boulganine, Krouchtchev, Kaganovitch, Gromyko, et les trois bourreaux en chef qui se sont succédé, Ejov, fusillé en 1940, Jdanov, probablement assassiné en 1948 et Béria, exécuté après la mort de Staline, tous vivaient enfermés dans le Kremlin, dans des appartements proches les uns des autres, partageant repas, beuveries nocturnes, séjours dans les datchas, séances de cinéma, spectacles du Bolchoï ou autres etc. Tous ces personnages, et quelques autres, tous proches du pouvoir, et les familles aussi, aussi bien celle du tyran que celles des potentats, pouvaient être cajolés le matin et envoyés dans les sinistres salles de tortures de la Loubianka le soir.
TERREUR GÉNÉRALISÉE
Les différents épisodes de ce règne sanguinaire (les plus sérieux historiens évaluent le nombre de victimes à 15 à 20 millions) sont désormais bien documentés : la famine organisée en Ukraine, la grande terreur des années trente, commandée par quotas (chaque région devait son quota de fusillés, sans se préoccuper de la véracité des accusations), les procès de 1937, la guerre, et la manière dont Staline, qui n’avait rien vu venir, a mis à son propre crédit la vaillance du peuple Russe, l’organisation du Goulag, et juste avant la mort de Staline, la petite teinte d’antisémitisme avec le « complot » des blouses blanches. Le Vojd faisait régner une telle terreur que, lorsqu’il eut l’attaque qui lui fut fatale, en mars 1953, personne n’osa d’abord entrer dans son bureau, puis personne n’osa alerter les médecins, si bien qu’il agonisa, allongé sur le plancher. Cette scène, racontée avec une verve sinistre, et des centaines d’autres, font le sel de ce récit qui est plus qu’un livre d’histoire : une chronique à la Saint-Simon qui se lit comme le roman de la cruauté et de la folie du pouvoir.
Cet article est signé par Henri BONETTI
ancien Secrétaire général Syndicat Unifié-Unsa
STALINE
La cour du tsar rouge
Éditions Perrin – collection Tempus
1120 pages – 18 euros