Se séparer des seniors : mauvais plan !
La crise du COVID a eu raison de l’usine à gaz de la réforme visant à instaurer un régime de retraite universel par points. La volonté de faire évoluer le système n’a pourtant pas disparu, même si elle reprend des formes plus traditionnelles, parmi lesquelles l’emploi des seniors ne doit pas être négligé…
Lors du débat de l’élection présidentielle, le sujet de l’âge de départ à la retraite a refait surface. Partagé entre une forme de sincérité dans ses convictions libérales et la conscience que le sujet est électoralement sensible, le Président de la république a d’abord affirmé sa volonté de passer rapidement à un départ légal à 65 ans, puis a amorcé un semi-recul en évoquant l’âge de 64 ans et en renvoyant les décisions à 2023. Les partis d’opposition, bien entendu, dénoncent cette proposition, et même en rajoutent puisque aussi bien la NUPES que le Rassemblement National affirment qu’ils reviendront à l’âge légal à 60 ans, avec 40 années de cotisation.
Entre injonctions et contradictions
De la part d’Emmanuel Macron et de sa majorité, il s’agit tout simplement d’une application des recommandations européennes qui prétend atteindre l’équilibre des régimes de retraites sans en faire payer le prix aux entreprises. Quant aux oppositions, leurs propositions, quand on les regarde dans le détail, soit ne sont pas si attrayantes (c’est le cas du RN) soit recouvrent de potentiels désaccords (le PS quand il était au pouvoir n’est pas revenu sur l’âge de départ à 62 ans et a augmenté la durée de cotisation).
Les syndicats sont également divisés. Certains sont sur des bases proches de la NUPES, d’autres sont plus prudents. L’UNSA, qui s’était ardemment battue contre le système par points, se contente pour l’instant de demander un statu quo, avec bien sûr l’exigence de la discussion, de la concertation, en particulier pour améliorer le pouvoir d’achat des pensions.
À chaque levier son obstacle
On connaît les données du problème. Pendant quelques années le système sera déficitaire. Pour se rapprocher de l’équilibre il y a trois leviers : le montant des pensions, le montant des cotisations (et si elles augmentent qui paie ? Salariés ? Entreprises ?), et, en effet, l’âge ou la durée d’activité. Baisser les pensions, c’est à la fois une injustice sociale et un mauvais calcul électoral. Les retraités sont de bons citoyens, qui votent plus que la moyenne de la population. Les uns et les autres s’accordent donc à dire qu’ils n’y toucheront pas. On sait pourtant que la tentation existe, non pas de baisser directement les pensions, mais de les faire progresser moins vite que l’inflation, ce qui dans le contexte actuel de poussée inflationniste revient au même, mais plus en douce. Augmenter les cotisations, c’est attaquer le pouvoir d’achat des salariés et/ou mettre en danger les entreprises – en particulier les PME. On comprend pourquoi le débat se focalise sur le troisième levier : l’âge de départ.
Élargir la réflexion
Nous sommes bien entendu solidaires de l’attitude prudente de notre confédération et comme elle nous souhaitons qu’on en reste à l’âge légal de 62 ans sans changement de la durée de cotisations. Cela est possible sous un angle qui est malheureusement peu abordé : celui de l’emploi des seniors. Les 55-64 ans sont en effet seulement 56 % à être en activité. Comme l’a démontré l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, il suffirait d’augmenter ce taux de 10 points (soit 66 %, soit 350 000 emplois, soit le taux qui existe dans pratiquement tous les autres pays européens), pour que le problème de l’équilibre des régimes de retraite n’existe plus. Ce qu’il faut changer, ce n’est donc ni l’âge de départ à la retraite ni la durée de cotisations, mais l’état d’esprit des entreprises françaises qui continuent trop souvent à n’avoir qu’une obsession : faire partir les anciens, par tous les moyens (PSE, ruptures conventionnelles calibrées etc.) au lieu de réfléchir à l’accompagnement de fin de carrière dans l’emploi via un effort ciblé et adapté de formation.
Article d’Henri Bonetti,
publié dans le Trait d’Union n°140